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15/02/2017

1794 : « C’est bien un génocide »

Les massacres des Vendéens en 1794 sont un « génocide ». C’est la thèse que défend le diplomate et juriste Jacques Villemain.
Si les massacres des guerres de Vendée (120 000 à 200 000 morts) avaient lieu aujourd’hui, le droit pénal international les qualifierait de « génocide ». Cette analyse juridique émane de Jacques Villemain, diplomate et juriste de haut rang en poste au ministère des Affaires étrangères à Paris. Il vient d’en faire un livre (1) qui risque de susciter la controverse… 
Pourquoi avez-vous écrit cet essai sur la guerre de Vendée ?


Jacques Villemain : « Je suis passionné d’histoire, je ne lis que ça. J’étais en poste à La Haye aux Pays-Bas quand est sorti un numéro de la revue « L’histoire » consacré à la guerre de Vendée. Il y avait toute une partie sur la question du génocide et j’ai constaté que tous les historiens étaient contre cette thèse. Or à cette époque, en juin 2012, j’avais affaire quotidiennement dans les tribunaux que je suivais à ces questions de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide. Il m’a sauté aux yeux que les arguments de ces historiens ne tiendraient pas bien longtemps la route devant un tribunal pénal. »


Qu’est-ce qu’un génocide du strict point de vue du droit ?

« Le crime contre l’humanité, y compris le génocide, a été défini pour le procès de Nuremberg. Le génocide, définition précisée en 1948 par l’ONU, c’est la « destruction totale ou partielle d’un groupe national, racial, ethnique ou religieux, comme tel ». Selon la jurisprudence pénale internationale, il faut entendre par là un groupe stable et permanent. »

Votre thèse, c’est qu’il y a eu « génocide » en Vendée en 1794. Comment arrivez-vous à cette conclusion ?

« Mes analyses n’engagent bien entendu que moi seul. Je restreins le crime de génocide concernant la guerre de Vendée à la période après janvier 1794, c’est-à-dire au moment des Colonnes infernales. Les armées bleues ratissent la Vendée militaire en tuant toutes les personnes qu’elles rencontrent. Elles considèrent qu’on ne pourra pas instaurer la République si on n’éradique pas cette « race maudite » pour reprendre une expression de l’époque. Le fait de massacrer tous les Vendéens - femmes, enfants vieillards - sans se poser la question de savoir s’ils sont républicains ou pas, rebelles ou pas, est constitutif du crime de génocide. On les tue parce qu’ils sont vendéens et non pour ce qu’ils ont fait. »

On vous opposera qu’on ne peut pas qualifier de génocide des crimes commis 150 ans avant la création même de ce concept…

« Je me suis posé cette question bien sûr. La convention de 1948 de l’ONU sur le génocide précise que les nations civilisées ont toujours reconnu que vouloir éradiquer une population entière était un crime. Cela correspond à un principe de philosophie du droit très ancien disant que certaines lois non écrites, portant les valeurs humanistes, s’imposent même en l’absence de lois écrites et même contre elles si les lois écrites les nient. Par exemple : une loi raciste n’est pas une loi qui puisse obliger en conscience. Et commettre des actes racistes en exécution d’une telle loi, même dûment votée et publiée au JO, serait toujours nécessairement une infraction pénale : c’est reconnu dans notre droit positif. Il est donc parfaitement légitime en droit d’appliquer le crime de génocide à des faits qui lui sont antérieurs. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo n’ont rien fait d’autre en 1945. »

Qu’y a-t-il de commun entre les massacres des Vendéens et les génocides des Arméniens en 1915, des juifs pendant la guerre, des Tutsis au Rwanda en 1994 ou des Bosniaques de Srebrenica en 1995 ?

« Dans tous ces cas, on tue les gens non pas pour des choses qu’ils ont faites, mais pour ce qu’ils sont. »

L’historien Reynald Secher soutient depuis longtemps la thèse du génocide, ce qui lui a été beaucoup reproché. Votre livre a-t-il pour but de le réhabiliter ?

« Je l’ai rencontré. J’ai lu ses livres, je ne partage pas entièrement sa thèse quant aux dates du génocide, mais il a le mérite immense d’être le premier à avoir osé parler de génocide. Sur le fond, il a eu raison avant tout le monde et n’a pas besoin d’être réhabilité. C’est plutôt aux historiens, qui ne sachant pas de quoi ils parlent, quand ils prétendent dire ce qui est génocide et ce qui ne l’est pas, à réviser leurs jugements mal avisés. »

Avec ce livre, vous risquez de vous attirer pas mal de critiques…

« En matière juridique, je suis ouvert au débat qui est par nature contradictoire. En revanche, les critiques des historiens, c’est différent. Autant je respecte leurs travaux sur les faits, autant je leur conteste le droit d’avoir une analyse juridique. Sur le principe, un historien n’a pas à dire ce qui est un crime ou ne l’est pas. Son rôle est d’exposer et d’expliquer, pas de juger. »

Vous, le haut fonctionnaire, ne craignez-vous pas les procès en trahison de la République ?

« C’est complètement ridicule. La République, je la sers depuis 30 ans en tant que fonctionnaire de l’État et j’en suis fier. La République est un cadre politique et il arrive que des sociétés humaines commettent des crimes. »

Que devrait faire la France, selon vous, pour reconnaître ses crimes ?

« S’agissant de la Vendée, le crime n’a jamais été reconnu et nommé. 15 à 20 % de la population, dans les quatre départements de la Vendée militaire, a été tuée. Pour qu’il y ait réconciliation, il faut qu’il y ait vérité. La représentation nationale pourrait le faire en annulant les lois des 19 mars, 1er août et 1er octobre 1793, qui ont conduit au génocide. Il faudrait annuler ces textes comme on l’a fait pour les lois de Vichy en 1945. Concernant les Colonnes infernales, un geste fort serait d’effacer le nom du général Turreau de l’Arc de Triomphe aussi. C’est symbolique, bien sûr, mais dans ce domaine, les symboles ont de l’importance. »

Jacques Villemain, un CV bien rempli

Jacques Villemain est né à Paris il y a 58 ans. Mais dans ses veines coule le sang breton de ses deux parents. Diplômé de Sciences Po et en droit, il a été élève de l’Ecole nationale d’administration (ENA) d’où il a intégré le Corps diplomatique. Il appartenait à la promotion Léonard-de-Vinci, en 1983-1985, aux côtés notamment de Jean-François Cirelli, ex-PDG de Gaz de France, et Xavier Musca, le dernier secrétaire général de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy.

Jacques Villemain a aussi travaillé comme maître des requêtes au Conseil d’État mais il a passé la plus grande partie de sa carrière au ministère des Affaires étrangères. Il a notamment exercé des fonctions à la direction des affaires juridiques du Quai d’Orsay et il a été en poste trois ans à La Haye, aux Pays-Bas, jusqu’en juin 2012. Il était en charge des relations avec les tribunaux pénaux internationaux et la Cour pénale internationale.

Aujourd’hui, Jacques Villemain est le représentant permanent adjoint de la France auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Robespierre « responsable à titre personnel »

Dans son livre, Jacques Villemain place au banc des accusés trois acteurs majeurs de la Terreur. Le général Turreau, qui commanda les Colonnes infernales en 1794 ; le député Carrier, responsable des noyades de Nantes, et Robespierre, « le personnage le plus considérable de la période », selon l’écrivain. « Je ne pouvais pas faire un livre sur des crimes sans désigner des coupables emblématiques. Parfois, je lis que la République, la France ou la Révolution française ont commis un génocide. C’est une affirmation politique mais en droit pénal, ça n’a aucun sens, assure Jacques Villemain. En droit, Il faut nécessairement imputer le crime à des personnes. »

« Robespierre est responsable à titre personnel parce qu’il a connu les faits criminels, poursuit l’auteur. Etant donnée sa position au sein du Comité de salut public, dont il est l’élément prépondérant, il est évident que, s’il était monté à la tribune pour faire cesser les crimes en Vendée, les choses auraient changé. A titre personnel, sa responsabilité est donc engagée. Elle l’est aussi à titre collectif puisque toutes les décisions du Comité de salut public étaient prises collégialement et tous les membres étaient d’accord sur la ligne politique à l’égard de la Vendée. »
(1) « Vendée 1793-1794 » de Jacques Villemain (éditions du Cerf). 296 pages, 24 euros.Cholet Entretien : Gabriel BOUSSONNIÈRE, Courrier de l'Ouest du 15 février 2017. gabriel.boussonniere@courrier-ouest.com
Rappelons que Jacques Villemain sera l'invité, le 18 mars prochain de l'association Vendée Militaire.
Il donnera une conférence au restaurant Le Poisson d'Argent, au Mesnil-en-Vallée. Renseignements et inscriptions (prix du déjeuner-débat) : 28 euros par personne, auprès de la Vendée Militaire, 2 avenue de la gare, 49123 Ingrandes-sur-Loire. Tel : 02.41.39.25.36. Déjeuner-débat ouvert à tous. Reynald Secher, l'homme qui a introduit le génocide à l'université, présentera Jacques Villemain.

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