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05/09/2021

Deux prêtres angevins dans la tourmente révolutionnaire : Pierre et Louis Lancelot

 Imaginons...

Sous le règne de Louis XV, deux frères de sang - et de coeur - dont l'éducation religieuse donnée par leur père, simple fermier à Angers, a été très forte, et en tout état de cause suffisante pour susciter chez eux une vocation commune tournée vers la prêtrise.

Selon leurs désirs, les frères Lancelot : Louis né en 1747 et Pierre de 3 ans son aîné, reçoivent tous deux le sacrement de l'ordre, en Anjou.

Église de la Chapelle-Saint-Laud

Plus tard, Louis devient à 33 ans curé de la Chapelle-Saint-Laud, et Pierre Chapelain à Denée, en 1786.

Les deux frères sont toutefois très différents de caractère.

Le cadet est naturellement effacé, mesuré, sinon parfois résigné. Proche de ses ouailles, Louis est soucieux de l'observance stricte du rituel de l'église gallicane. La charité est un métier que le curé exerce avec intelligence, de cette intelligence du coeur qui le pousse à partager, et si besoin est, à se dépouiller.

De son côté, l'aîné est facilement passionné, enflammé, voire exalté. D'esprit frondeur, particulièrement attaché à une certaine forme de liberté, il est naturellement porté à la facétie. Il aime à exécuter sa propre pièce de théâtre dans laquelle s'illustre le burlesque d'une situation qu'il aura délibérément recherchée.

En dépit de ces traits de caractère passablement opposés, les deux frères sont restés très liés par un attachement réciproque que les parents ont su fortifier chez leurs enfants dès le plus jeune âge.

Presbytère
de La Chapelle-Saint-Laud

L'activité de contrebande du sel à laquelle s'adonne le Chapelain est de notoriété publique. L'intrépide curé se joue des nombreux gabelous lancés à sa poursuite qui ne parviennent pas à mettre la main sur lui. C'est en vain qu'ils parcourent la campagne, sans succès, de sorte qu'ils deviennent la risée de la population angevine.

Louis Lancelot, le très sage titulaire de la cure de la Chapelle-Saint-Laud ne laisse pas de se faire un sang d'encre pour son frère.

Arrive la Révolution. Pierre délaisse le sel pour défendre avec une vigueur toute exceptionnelle " la religion de ses pères".

Exhortant Louis à renoncer à prêter serment à la Constitution civile du Clergé, et finalement obtenant sa rétractation officielle, lui-même rejoint spontanément le camp des prêtres réfractaires et se lance dans une ardente et non moins virulente croisade politique.

Pour Pierre Lancelot, les prêtres reçoivent leur mission de l'Eglise et ne doivent pas l'obtenir de l'Assemblée nationale. Il ne peut admettre que le pouvoir civil s'étende sur des objets spirituels : faut-il que les drapeaux de l'athéisme se substituent à l'étendard de la Croix ? 

Pierre Lancelot se refuse à être le thuriféraire d'un " nouveau chef spirituel ", l'Etat...

Au cours du schisme que provoque la promulgation de la Constitution civile du Clergé (le plus grand que l'Eglise de France ait eu à connaître ) les prêtres angevins vont croiser, pour leur plus grand malheur, la route des frères Delaunay, membres du Directoire du Maine-et-Loire.

 Pierre Lancelot en fera particulièrement les frais, car ces nouveaux potentats ont juré sa perte. Mais "Lancelot, toujours dénoncé, toujours poursuivi , jamais saisi..." continuera sa cavale et poursuivra ses prêches avec toute l'insolence et le courage d'un homme convaincu de son bon droit.
Cartouche sur le mur du presbytère
François Toupelain de la Doillière
commandant de la garde nationale 
de La Chapelle-Saint-Laud,
acheta le presbytère en 1796
et fit enlever du cartouche le nom
de Louis Lancelot

Après dix mois d'une vie intrépide et probablement exténuante, il est "rattrappé" en mai 1792 et ne peut échapper à un procès du Tribunal Criminel d'Angers. 

A l'issue d'une procédure truquée au cours de laquelle il se défend comme un beau diable, il est déclaré coupable de forfaiture et condamné à deux ans d'emprisonnement.

Pierre Lancelot se pourvoit en Cassation.

Entretemps on le fait sortir de prison pour le forcer à rejoindre la cohorte des ecclésiastiques angevins qui sont acheminés avec une extrême violence jusqu'à Ancenis, pour être déportés en Espagne.

Il est de l'autre côté des Pyrénées, lorsqu'en septembre 1793 - alors que la Terreur a été officiellement mise à l'ordre du jour par la Convention - un magistrat du Tribunal de Cassation à Paris, faisant fi du contexte politique, casse l'acte d'accusation de Pierre Lancelot.

Ce n'est que 8 ans plus tard, de retour du bannissement en Espagne, qu'il retrouve son Anjou natal, en même temps que son frère Louis, par la grâce du Premier Consul de la République qui s'apprête à imposer son projet de Concordat.

Voici le récit picaresque des frères Lancelot, deux héros happés par la Révolution française aux prises avec les frères Delaunay, incarnation d'un nouveau pouvoir local.

Ceux-ci se montrent d'odieux acteurs d'une véritable machination politique, au point que même les ministres Duport-Dutertre, Danton et Roland supposés servir les idéaux révolutionnaires dénonceront les abus de pouvoir et la barbarie des Administrateurs départementaux du Maine-et-Loire dont le machiavélisme aura atteint un niveau rarement égalé.  


PIERRE LANCELOT, LE PLUS VENDÉEN DES CURÉS ANGEVINS


À l'âge de 42 ans, Pierre Lancelot devient en 1786 chapelain résidant de la Chapelle-Saint-André des Jubeaux à Denée.
Auparavant il aura exercé les fonctions de vicaire dans plusieurs paroisses de l'Anjou. 
Presbytère de Denée


La création de la Chapelle-Saint André remonte à l'année 1526, lorsque deux frères prêtres, fils d'un meunier de Denée, font construire dans la " Vallée des Fosses" un petit édifice en  l'honneur du saint patron. 

La commune des Jubeaux est composée de petits logements  occupés par de pauvres paysans d'esprit et de cœur très "vendéens" . 
La vallée renferme des prairies plus ou moins fortement inondées selon les caprices de la Loire.
En cas de hautes eaux, la vie y est particulièrement difficile.
En revanche, le contraste est saisissant de l'autre côté de la Loire, sur les côteaux où l'on trouve de la polyculture et de la vigne produisant le fameux "coteaux de l'aubance".

À quelques encablures des Jubeaux, le curé de Denée, Coquet de Genneville, occupe depuis 1778 un magnifique presbytère qu'a fait construire luxueusement  dix ans plus tôt l'abbé Rousseau des Ruaux. 
On dit volontiers que c'est le plus beau presbytère de l'Anjou.

Il n'est pas déraisonnable de prêtendre que sur le plan matériel et le mode de vie tout oppose les deux hommes, Coquet de Genneville et Lancelot.
Le premier est très riche et mène grand train. Le second vit, sinon survit, pauvrement.
Mais néanmoins, l'un comme l'autre refusent de prêter serment à la Constitution Civile du Clergé et tous deux continuent de célébrer le culte et se réfugient chaque fois qu'il est nécessaire dans le noble logis de Mme Eugénie de Collasseau.
Veuve de Philippe de la Béraudière, Lieutenant colonel  d'infanterie qui mourut en 1785 à l'âge de 62 ans, Mme Eugénie de Collasseau donnait très courageusement refuge aux prêtres réfractaires Coquet de Genneville et Lancelot, ainsi qu'aux vicaires Bonneau et Prévost ( ce dernier sera apostat, et deviendra l'ennemi juré de Pierre Lancelot).
Denée : Voûte de
La Chapelle Saint-André des Jubeaux


Par la suite Coquet de Genneville qui dispose d'une grand fortune parvient à émigrer avec son vicaire Bonneau en Angleterre, peu avant la déportation de la plupart des  curés Angevins en Espagne. 

Pierre Lancelot, l'apôtre de la résistance comme on l'a souvent appelé, choisit de prendre le maquis, persiste dans la célébration de messes clandestines en envoyant son chien muni d'une sonnette au cou annoncer les offices.

Il sera rattrapé par les frères Delaunay, après s'en être pris personnellement à Prévost ( qui entre-temps avait prêté serment à la Constitution civile du Clergé) .
Il est communément admis que c'est l'abbé Prévost ( parent d'un certain Pelletier qui sera l'évêque  constitutionnel à Angers) qui dénonça Pierre Lancelot.
Il faut dire aussi qu'un parent de de Launay, régent de la faculté de médecine d'Angers occupait un logis à Denée et avait tout loisir de s'informer sur les allers et venues de Pierre Lancelot.

LOUIS LANCELOT ARDENT DÉFENSEUR DU ROYAUME DE FRANCE

Sur la corniche horizontale du fronton du presbytère de la  Chapelle-Saint-Laud, Louis Lancelot a gravé la date de sa construction : L'AN 1783 RG.

La mention RG pour REGNUM GALLIAE est associée à REGNUM MARIAE.
Statue de Saint-Clément, retrouvé enfoui sous le sol de La Chapelle-Saint-André des Jubeaux
Statue de Saint-Clément
retrouvé sous le sol 
de La Chapelle Saint-André des Jubeaux
Ainsi l'a voulu le roi Louis XIII qui, dans un édit officiel - accepté et confirmé par une bulle du Pape Pie XI adressée à la France fille aînée de l'église - a décidé solennellement que le Royaume de France était le Royaume de Marie.

Louis Lancelot est pour une église catholique, apostolique et romaine comme l'approuve  l'ensemble  du clergé de France au XVIII ème siècle, sous le Haut patronnage du roi Louis XVI.
Mais étant largement gagné aux idées gallicanes, Louis Lancelot n'est pas hostile dans un premier temps à l'adoption de la Constitution Civile du Clergé, elle-même d'inspiration gallicane. 
Et dans la mesure où cette Constitution va de pair avec l'instauration d'une monarchie constitutionnelle, il peut prétendre vivre pleinement en communion avec son Roi. 
Certes le Roi n'est plus roi de France, mais roi des Français. 

Pour Louis Lancelot cette différence n'est pas anodine. 
Elle est même d'importance, mais il faut toutefois savoir composer pour sauver l'unité et la solidarité de la Nation et du peuple de France. 

En définitive on peut être catholique et royaliste dans le cadre d'une monarchie constitutionnelle décrétée et effectivement appliquée. 
Mais si la personne même du Roi est contestée, alors l'adhésion à cette construction est impossible.
Louis Lancelot en tire la  conclusion, et aidé en cela par son frère Pierre, il rejoint le camp des réfractaires, ce qui lui vaut le bannissement en Espagne. 

Daniel Peccia-Galetto



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