Depuis le mois de septembre 2015, nous avons publié régulièrement sur le blog de « Vendée Militaire » une série d’articles que nous poursuivons encore aujourd’hui. Il s’agit du sixième point, mais en réalité du neuvième article puisque ce point VI est ainsi triplé (et le point IV avait été doublé). L’objectif recherché par cette série est de montrer de quelle manière les cartes postales vendéennes, datant du tout début du XXème siècle, peuvent aider à écrire l’histoire locale et en particulier celle des Guerres de Vendée.
6 - Les cartes postales anciennes ont permis de faire connaître les monuments des Guerres de Vendée:
Nous avions commencé ce chapitre par la chapelle du Mont des Alouettes aux Herbiers et continué la dernière fois par : la colonne de Torfou, la croix des Mathes et le monument de La Gaubretière. Comme nous l’avions annoncé, nous allons nous consacrer aujourd’hui aux Lucs sur Boulogne.
La Chapelle des Lucs sur Boulogne :
Les évènements tragiques survenus aux Lucs sur Boulogne sont connus de tous puisque cette commune est souvent qualifiée « d’Oradour sur Glane vendéen ». Rappelons les toutefois brièvement pour mémoire. Le 28 février 1794, une colonne « infernale » commandée par le général Cordelier arrive par la route de Mormaison. Les soldats saccagent les fermes et villages situés sur leur passage et massacrent les habitants : à la Gaconnière (32 personnes), à la Pélerinière (16), à la Guyonnière (30), à la Bugelière (18), à Bourgneuf (22), au Bregeon (9), au Chef du Pont (19), etc...Au bourg du Petit Luc, le curé Voyneau, âgé de 70 ans, se porte au devant des troupes républicaines pour les implorer d’épargner ses ouailles. Ils le martyrisent dans le chemin de Malnaye en lui arrachant la langue et le cœur. Ils se dirigent alors vers la petite église où la population est rassemblée en prière. Au fusil ou à la baïonnette ils les massacrent tous, puis ils mettent le feu à l’église. Le 1er mars 1794 ils poursuivront leurs crimes dans la paroisse voisine du Grand Luc. L’abbé Barbedette curé de la paroisse Saint Pierre du Grand Luc, dit curé « grands bots », qui était absent durant ces jours, se fera un devoir de relever les noms de toutes les personnes éxécutées. Il les connaissait bien puisqu’il en avait fait le recensement quelques années auparavant.
Son martyrologue , laissé au presbytère de la nouvelle paroisse des Lucs sur Boulogne, tomba dans l’oubli durant le XIX° siècle jusqu’à ce que l’abbé Jean Bart le retrouve vers 1870.
Cette première carte postale a été réalisée par les éditions Minot des Lucs sur Boulogne vraisemblablement en 1905 (elle a été postée en 1906). Le numéro 2993, qui y est indiqué, nous paraît suspect. En effet, la maison Minot n’a guère fait de cartes en dehors des Lucs et de quelques communes limitrophes. Plusieurs autres éditeurs ont photographié les Lucs par exemple : Paul Dugleux à La Roche sur Yon, ou bien Henri Moreau à Rocheservière ou encore Héliotypie Dugas à Nantes. De plus, sur toutes les cartes postales de Minot que nous connaissons le numéro commence par 2900. Donc, ce dernier ne correspond sans doute pas au total des clichés réalisés par le photographe.
La carte postale ci-dessus représente principalement un homme et un petit garçon qui sont, en quelque sorte, en train de franchir la rivière la Boulogne à gué, à côté de la chaussée d’un moulin. Le pont que nous voyons au centre est celui de la route de Saint Sulpice le Verdon près du village de Bourgneuf. Nous apercevons en arrière plan à gauche le mur nord de la chapelle et plus à droite le tertre surmonté d’une statue de la Vierge. Cette authentique motte féodale a été surchargée d’un remblai et aménagée d’un sentier montant en colimaçon, au XIX ème siècle. Ces dispositions étaient bien entendu destinées à améliorer les possibilités de pèlerinages à cet endroit. La statue de la Vierge a été bénie le 22 mai 1884.
Cette deuxième carte postale a été réalisée par le magasin d’héliotypie Dugas éditeur à Nantes et a été postée en 1905. Toutefois la correspondance au recto et le verso réservé à l’adresse font d’elle une carte précurseur (c'est-à-dire antérieure au 1er décembre 1903). Le cliché dit « plein format » c'est-à-dire occupant toute la surface de la carte permet de préciser :
1902 ou 1903.
Nous pouvons y voir cette fois-ci : l’abside et le mur sud de la chapelle ainsi qu’une petite maison voisine. Une de celles de l’ancienne paroisse du Petit Luc qui ont été reconstruites après les guerres de Vendée. On comprend assez bien par ce cliché que la chapelle actuelle correspond au chœur de l’ancienne église paroissiale Notre Dame du Petit Luc. La Nef s’étendait en avant à l’emplacement actuel du bosquet d’arbres. Le mur du chevet de la chapelle actuelle, droit, est éclairé de trois baies longues et étroites d’inégale longueur dites en triplet. Il s’agit là d’un aspect localement caractéristique du style du XIII° siècle. Comme l’église était plus ancienne (XIème), on pourrait penser que le chœur avait été élevé deux siècles plus tard, comme un allongement de la modeste église romane primitive. Cette dernière n’avait pas obligatoirement de transept (des fouilles permettraient de le vérifier). Elle comprenait deux ou trois travées. Les ruines, abandonnées durant la première moitié du XIXème siècle, furent fouillées en octobre 1863 suivant la demande du curé Jean Bart à l’occasion d’une mission, puis déblayées. Les pierres furent d’ailleurs réutilisées pour l’érection d’un calvaire dans le bourg des Lucs-sur-Boulogne sur la route de Rocheservière. La nef était réduite à des murs d’environ un mètre de haut. Une tradition affirmait même qu’il y avait un modeste clocher qui aurait été bombardé par les républicains et qui aurait écrasé la nef dans sa chute. Du chœur, mieux préservé, il restait surtout le mur de l’abside encore surmonté de son pignon. Il a ainsi pu être réparé et restauré à l’identique après 1864 pour constituer la chapelle que nous voyons aujourd’hui. Celle-ci a été bénie par S E Monseigneur Charles-Théodore Colet évêque de Luçon le 16 octobre 1867 sous le nom de « Notre Dame des Martyrs ».
Cette troisième carte postale est plus récente que les deux autres puisqu’elle date de 1935 environ. Elle a été réalisé par Henri Moreau photographe à Rocheservière, auteur de nombreux clichés sur cette commune. Les cartes postales de cette époque, généralement d’un moindre intérêt que leurs aînées, sont dites à bordure. On en trouve à la même époque de couleur marron. Celle-ci a le mérite de nous montrer la façade dans son intégralité que la végétation actuelle nous cache.
Elle nous présente cette fois-ci la façade (ouest) de la chapelle. A son emplacement s’élevait autrefois l’arc séparant le nef du chœur. Il s’agit donc d’une création totalement nouvelle datant de 1864. On y remarque, sculpté sur le tympan du portail d’entrée, Saint Joseph rendant le dernier soupir sous les yeux de Jésus et de Marie. Dans la niche, juste au dessus, figure la statue du Sacré Cœur. Les deux statues installées de chaque côté sur les pinacles représentent respectivement le prophète Isaïe et le roy David annonçant Marie au monde. Enfin au dessus du monumental clocheton est érigée une statue de la Vierge qui est une reproduction fidèle de celle dédiée par le pape Pie IX à l’immaculée conception. Cette chapelle a été nettoyée et restaurée en 1935 (la carte postale fait donc suite à cette opération). La façade de l’ancienne église de la paroisse devait être de forme assez proche. Pour l’imaginer il suffit de dépouiller celle ci de tous les ornements typiquement XIXème : le tympan, la niche, la petite rosace quadrilobée, les pinacles, les statues et le monumental clocheton . Il nous resterait alors une façade simple percée d’un portail voussuré, avec au dessus un petit vitrail et surmontée d’un simple clocheton .Ce type de façade est assez courant en Bas Poitou , on le trouve aussi bien dans l’ancienne église de Tiffauges, dans l’église de Puyravault ou bien dans la chapelle Notre Dame de l’Angle à Chantonnay.
A notre connaissance, il n’existe pas de carte postale ancienne montrant l’intérieur de la chapelle. Los ossements des victimes du massacre, encore accompagnés de chapelets, scapulaires et même de balles de fusils, recueillis lors des fouilles de 1863 ont été ré inhumés dans le sol de la chapelle. Ils se trouvent sous l’emplacement d’une rosace au milieu des dalles de pierres. La visite de cette chapelle est surtout devenue particulièrement émouvante à partir d’octobre 1953 quand le curé Moreau a décidé d’installer des tables mémorielles indiquant les noms des 459 victimes (âgées de 15 jours à 84 ans) figurant sur le martyrologue établi par l’abbé Barbedette curé du grand Luc quelques jours après les massacres du 28 Février 1794. Cette liste annonce la présence de 564 noms mais n’en comporte en fait « que » 459 ; deux feuillets ayant disparus au cours du XIXème siècle. Toutefois cette liste concerne toutes les personnes massacrées par les colonnes infernales sur toute l’étendue du territoire des deux paroisses des Lucs, pendant les journées du 28 février et 1er mars 1794, et pas seulement celles tuées dans l’église Notre Dame du Petit Luc le 28. Ces dernières ne devaient représenter qu’une petite partie des 564 noms car la paroisse du petit Luc, une des plus petites du diocèse, ne comptait que 100 habitants environ en 1789. Le 28 février 1954 SE Monseigneur Antoine Marie Cazaux évêque de Luçon est venu bénir ces 22 tables en marbre blanc sculptées par André Charrier tailleur de pierres aux Lucs. La cause en béatification des enfants au dessous de 8 ans été instruite en cour de Rome à partir de 1946.
Cette quatrième carte postale est encore plus récente que la précédente puisqu’elle a été éditée anonymement en 1945, mais sous la forme d’une carte du début du siècle. Elle montre les vitraux des quatre panneaux installés à la base de la grande rosace située dans le transept nord de la nouvelle église Saint Pierre des Lucs sur Boulogne édifiée de 1898 à 1902 par l’architecte Liberge. Il existe d’ailleurs une carte semblable pour les vitraux du transept Sud. Ces deux ensembles de quatre vitraux ont été réalisés en 1941 par Lux Fournier maître verrier à Tours suivant les idées émises par l’abbé Prouteau.
Si on examine plus attentivement ces quatre vitraux, on s’aperçoit que le panneau central est le 3ème à partir de la gauche. Les vitraux 2 et 4 en sont les panneaux secondaires. Le vitrail 1 apparaît pour sa part comme du remplissage absolument pas indispensable à la composition. On peut également se rendre compte qu’ils sont composés à la manière médiévale. Car ils ne forment pas une image prise en instantané mais un récit détaillé des évènements sur une durée. Chronologiquement l’ensemble se lit de droite à gauche. Un officier républicain a été conduit sur les lieux par un paysan vendéen félon. Il aurait cassé son épée en essayant de briser une statue de la Vierge. Deux soldats sont en train d’attacher à un arbre pour le martyriser l’abbé Louis Michel VOYNEAU curé réfractaire de la paroisse Notre Dame du Petit Luc. Un soldat tient la tenaille qui va servir à lui arracher la langue. Un autre soldat essaye vainement d’arracher un chapelet à un jeune enfant. Deux soldats armés de fusils et de baïonnettes montent la garde. En arrière plan, la population est en train de se rassembler dans l’église du Petit Luc. On notera au passage que le verrier a commis un anachronisme en représentant ici pour un événement de 1794 la chapelle de 1867 (parfaitement reconnaissable) et non pas la petite église de l’époque.
Chantonnay le 03 mars 2016
Maurice BEDON