Le grand aliéniste Philippe Pinel, celui auquel revient le mérite d'avoir désenchaîné les fous de Bicêtre et d'avoir inauguré une véritable révolution dans le traitement des maladies mentales, avait assisté, en sa qualité de garde national, à l'exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793. Il en a laissé le récit dans une lettre écrite le jour même du drame.
"Je ne doute pas que la mort du Roi ne soit raconté diversement suivant l'esprit de parti, et qu'on ne défigure ce grand événement, soit dans les journaux, soit dans les bruits publics, de manière à défigurer la vérité ; comme je suis ici à la source, et que, éloigné par principe de tout esprit de parti, j'ai trop appris le peu de cas qu'il fallait faire de ce qu'on appelle "aura popularis", je vais te raconter fidèlement ce qui est arrivé.
C'est à mon regret que j'ai été obligé d'assister à l'exécution en armes, avec les autres citoyens de ma section, et je t'écris le cœur pénétré de douleur, et dans la stupeur d'une profonde consternation.
Louis, qui a paru entièrement résigné à la mort par des principes de religion, est sorti du Temple vers les 9h du matin, et il a été conduit au lieu du supplice dans la voiture du maire, avec son confesseur et deux gendarmes, les portières fermées. Arrivée près de l'échafaud, il a regardé avec fermeté ce même échafaud, et dans l'instant le bourreau a procédé à la cérémonie d'usage, c'est-à-dire qu'il lui a coupé les cheveux, qu'il a mis dans sa poche, et aussitôt Louis est monté sur l'échafaud ; le roulement d'un grand nombre de tambour qui se faisait entendre et qui semblait apostés pour empêcher le Peuple de demander grâce, a été interrompu d'abord par un geste qu'il a fait lui-même, comme voulant parler au peuple assemblé ; mais à un autre signal qu'à donné l'adjudant du général de la garde nationale, les tambours ont repris leur roulement, en sorte que la voix de Louis a été étouffée, et qu'on n'a pu entendre que quelques mots confus, comme : « Je pardonne à mes ennemis, etc. » ; mais en même temps ; il a fait quelques pas autour de la fatale planche où il a été attaché comme par un mouvement volontaire ou plutôt par une horreur si naturelle à tout homme qui voit approcher sa fin dernière, ou bien par l'espoir que le peuple demanderait sa grâce, car quel est l'homme qui n'espère pas jusqu'au dernier moment. L'adjudant du général a donné ordre au bourreau de faire son devoir et, dans l'instant, Louis a été attaché à la fatale planche de ce qu'on appelle la guillotine, et la tête lui a été tranchée sans qu'il ait eu presque le temps de souffrir, avantage qu'pon doit du moins à cette machine meurtrière, qui porte le nom du médecin qui l'a inventée.
Le bourreau a aussitôt retiré la tête du sac, où elle s'engage naturellement, et l'a montrée au peuple. Aussitôt qu'il a été exécuté, il s'est fait un changement subit dans un grand nombre de visages, c'est-à-dire que d'une sombre consternation on est passé rapidement au cri de "Vive la nation" du moins la cavalerie qui était présente à l'exécution, et qui a mis ses casques au bout de ses sabres. Quelques citoyens ont fait de même, mais un grand nombre s'est retiré le cœur navré de douleur, en venant répandre des larmes au sein de sa famille. Comme cette exécution ne pouvait se faire sans répandre du sang sur l'échafaud, plusieurs hommes se sont empressés d'y tremper, les uns l'extrémité de leur mouchoir, d'autres un morceau de papier ou toute autre chose pour conserver le souvenir de cette événement mémorable, car il ne faut pas se livrer à des interprétations odieuses. Le corps a été transporté à l'église Sainte-Marguerite, après que des commissaires de la municipalité, du département et du tribunal criminel ont eu dressé le procès-verbal de l'exécution. Son fils, le ci-devant Dauphin, par un trait de naïveté qui intéresse beaucoup en faveur de cet enfant, demandait avec insistance, dans son dernier entretien avec son Père, d'aller l'accompagner pour demander sa grâce au peuple.
Il me serait facile de m'étendre sur le jugement qu'a prononcé l'Assemblée nationale, et de faire valoir jusqu'à quel point la prévention et la haine ont éclaté. Je suis certainement loin d'être royaliste et personne n'a une passion plus sincère que moi sur la prospérité de ma patrie ; mais je ne puis me dissimuler que la Convention nationale s'est chargée d'une responsabilité bien redoutable, et qu'en outre, elle a dépassé ses pouvoirs.
Dans tous les gouvernements réguliers, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif sont essentiellement distincts, ou bien il règne la plus effrayante tyrannie, car si le corps qui a le pouvoir de faire les lois a aussi celui de les appliquer, suivant ses caprices, et de les faire exécuter, quel est le citoyen dont la sûreté et la propriété ne sont pas menacées ? Le corps législatif avait sans doute le droit de créer un tribunal ou une commission pour le jugement du ci-devant Roi, prévenu d'avoir favorisé l'entrée des troupes étrangères dans la France, encore ne pouvait-t-on le juger que d'après les lois de la Constitution, qui déclare dans ce cas la déchéance du Roi."