14/08/2023

L'histoire des dernières statues de Louis XVI

Société

De Nantes au Kentucky, l’histoire chaotique des dernières statues de Louis XVI

Celle surplombant la cité des ducs de Bretagne fête ses 200 ans ce lundi. Il en subsiste trois autres en France, et une... aux États-Unis.

Thibault Dumas


PATRIMOINE Au sommet de la colonne de 26 mètres de haut, Louis XVI surveille depuis deux siècles la vaste place Maréchal-Foch à Nantes. Cette statue de pierre blanche est sans aucun doute la plus impressionnante sculpture de l’ancien roi trônant encore dans l’espace public français. Pourtant, l’anniversaire des 200 ans de son inauguration, ce lundi 14 août, ne fera l’objet d’aucune célébration officielle.


La colonne ne porte d’ailleurs ni mention ni plaque explicative et n’a jamais été une étape du guide touristique officiel de la ville. Bien que la municipalité, son propriétaire, l’ait rénovée pour près de 150 000 euros en 2012. À son pied, Hervé Louboutin, riverain et auteur de Mai 68 chez Louis XVI (1) s’en émeut : « Des touristes me demandent régulièrement si ce n’est pas Foch qui est perché là-haut. Sinon beaucoup de Nantais parlent encore de la place Louis-XVI, l’ancien nom du lieu... »

Hormis l’édifice nantais, quatre autres statues « colossales » de Louis XVI et estampillées
« intégrales », c’est-à-dire avec leur tête, ont résisté au temps et aux luttes. On les trouve au Loroux-Bottereau (Loire-Atlantique, encore), à Bécherel (Ille-et-Vilaine) et à Sorèze (Tarn). Plus une exilée aux... États-Unis, dans le Kentucky. C’est un historien nantais, Louis Bossard, qui en a fait l’inventaire il y a une dizaine d’années, à partir de la base de données du ministère de la Culture et des retours d’amateurs d’histoire. Les autres disparurent toutes pendant ou après la Révolution française, dans un vaste mouvement d’effacement de cette représentation royale.

« Louis XVI est ce qu’on appelle en psychanalyse le mauvais objet : celui sur lequel se concentrent toutes les frustrations et la colère d’une époque », notait récemment l’écrivain Gérard de Cortanze dans Le Figaro. D’où, aujourd’hui, une désaffection certaine pour ces ouvrages. Voire des velléités de s’en débarrasser. « Qu’on aime Louis XVI ou pas, qu’on soit révolutionnaire ou pas, cette statue appartient à tous les Nantais. La déboulonner serait une honte absolue ! », s’alarme Hervé Louboutin à Nantes, où l’affaire tourne à une bataille de mémoires. Chaque 21 janvier, jour où le souverain fut guillotiné, des dizaines de militants de l’Union royaliste et de l’Action française lui rendent ainsi hommage au pied de la colonne :

« Nous honorerons toujours la mémoire de celui qui, en bon père, n’a pas hésité à faire couler son propre sang plutôt que celui de son peuple. » Depuis 1993, des manifestants bleus (républicains) et royalistes (blancs) se succèdent sur le site pour demander le démontage de la colonne ou au contraire célébrer le « roi martyr ».

En 2022, la soirée avait été marquée par des dégradations commises en marge d’une contre- manifestation rassemblant 600 personnes à l’appel de Nantes révoltée (aujourd’hui Contre Attaque). « Enlevez-moi la statue de ce traître à la patrie, qui voulait rétablir son trône ! », avait réclamé Jean-Luc Mélenchon, de passage dans la ville lors de la campagne présidentielle de 2022. Une idée assumée par le député LFI nantais Andy Kerbrat : « Je suis en effet aussi pour le déboulonnage de la statue de Louis Capet. Je continue aussi de proposer de renommer la place Royale (aussi dans le centre-ville, NDLR) en place du Peuple. » Construite en 1790 en l’honneur du « roi bienfaiteur », la colonne a attendu longtemps sa statue royale. Un aigle impérial l’ornera un temps après une visite de Napoléon en 1808. Louis XVI, taillé par le sculpteur Dominique Molknecht, sera finalement apposé en 1823, alors qu’un coq gaulois révolutionnaire faillit la remplacer en 1830. Difficilement atteignable, elle n’a jamais subi de dégradation en 200 ans, contrairement à sa cousine façonnée aussi par Dominique Molknecht et installée au Loroux-Bottereau. Sise devant l’église de cette commune de 8 000 habitants au sud de Nantes, elle avait été offerte en 1821 par le préfet d’alors, en souvenir de la fidélité des Lorousains à la monarchie pendant les guerres de Vendée. Pourtant, il ne s’agit plus de l’original, « mais d’une copie réalisée d’après moulage en 1995. La vraie est à l’intérieur de l’office du tourisme », précise-t-on à la mairie. En sécurité. Car ce Louis XVI blanc fut ‐ régulièrement vandalisé. Partiellement décapité, sans bras, recouvert de peinture au

XIXe siècle. Barbouillé de noir, décoré aux couleurs du supermarché du coin, habillé d’une cravate tricolore ces dernières décennies...

On trouve la troisième statue signée Molknecht 150 kilomètres plus au nord, à Bécherel (Ille-et- Vilaine). Dans ce village, la sculpture datant de 1830 ne subit que les dégradations du temps qui passe, dans le parc du château de Caradeuc. « C’est la plus grande et la plus belle ! Installée de plus sur des terres transformées en marquisat par Louis XVI », s’enthousiasme la propriétaire du château, Cécile de Kernier. « Dans les années 1950, la Ville de Rennes nous l’a mise en dépôt alors qu’elle devait être installée dans la niche de l’hôtel de ville. La municipalité d’alors la trouvait trop encombrante. »

À Sorèze (Tarn), non loin de Toulouse, on trouve la quatrième statue « colossale » de Louis XVI en France. Plus grossière, sans auteur connu, tout juste sait-on qu’elle trône dans les jardins de l’ancienne abbaye bénédictine depuis les années 1850. Les curieux peuvent l’apercevoir aux heures de visite de l’endroit, devenu un musée. « Nous abritons aussi une ancienne école royale militaire fondée précisément par Louis XVI, d’où la statue, indique le musée. Elle n’a été parfois que légèrement dégradée, peinte en rose ou “momifiée” par des plaisantins. » Ce qui est bien peu à côté de la cinquième et dernière sculpture, saccagée, déboulonnée puis remisée à Louisville, aux États-Unis. La triste issue d’un voyage rocambolesque.

L’imposant ouvrage de marbre de 6,5 tonnes, d’un certain Achille Valois, est inauguré en 1829 sur l’actuelle place du Marché-aux-Fleurs de Montpellier (un temps place... Louis XVI, sous la Restauration). Prise dans la tourmente de l’histoire, la statue fut successivement cachée à la citadelle de Montpellier jusqu’en 1900, puis dans un musée et enfin remisée aux archives départementales de l’Hérault. Trop gênante pour la municipalité, elle est léguée fin 1966 à la ville jumelée de Louisville, qui tire son nom du roi. Acheminé par bateau puis par train dans le Kentucky, ce « magnifique cadeau de Noël » selon le maire de l’époque, devint empoisonné un demi-siècle plus tard. Pendant les manifestations du mouvement « Black Lives Matter », la statue est amputée d’une main, taguée de rouge et de noir. Avant son déboulonnage, en septembre 2020 par la municipalité pour « des raisons de sécurité ». L’œuvre, qui végète depuis trois ans dans un hangar, sera-t-elle à nouveau visible un jour ? Contactée par Le Figaro, la mairie de Louisville n’a pas donné suite.

(1) Éditions Les Chantuseries, 2019. 


Extrait du Figaro du 14 août 2023