16/09/2022

Le génocide vendéen

 Le Point, 10/09/2022

Thierry Lentz – Reconnaître les massacres de Vendée

CHRONIQUE. Le succès indémodable du Puy du Fou maintient la flamme vendéenne. Il serait temps que la République répare le traumatisme du « populicide »...

Mémorial de la Vendée commémorant le massacre des Lucs (février-mars 1794).© PHILIPPE ROY / Philippe Roy / Aurimages via AFP
Par Thierry Lentz
Publié le 10/09/2022 à 10h00

Une fois encore, cette année, nous aurons été plus de deux millions à passer une

belle journée au Puy du Fou. Pour ne pas y être allé depuis longtemps, nous avons pu constater que, malgré la croissance et la nécessaire professionnalisation, l'ambiance n'a pas changé et la qualité de la fête reste au rendez-vous. Qu'il est beau de voir ainsi des familles, souvent issues de nos terroirs, venir passer ici un bon moment, pour voir des spectacles vivants (il n'y a aucun manège au Puy du Fou) et, peut-être, apprendre un peu de l'histoire si particulière de ce département devenu petite nation dans la grande, ce qu'exprime la devise vendéenne : Utrique Fidelis, fidèle à l'une et à l'autre.

On dira ce que l'on veut, mais, en 1977, Philippe de Villiers a eu du flair. Et comme rien de grand ne s'accomplit sans passion, il y ajouta une énergie, un bon sens et une conviction qui ne lui ont pas toujours été reconnus. C'est fait désormais, avec une avalanche de prix internationaux, dont plusieurs décernés par les Américains qui, en matière de parcs à thème, savent de quoi ils parlent. C'est encore plus vrai et tout aussi précieux avec l'émerveillement des grands et des petits.

Success story

Cette réussite culturelle a pour noyau un spectacle de bénévoles. Ils sont aujourd'hui 4 400, de 2 à 91 ans. Leur rôle n'a pas changé depuis près d'un demi-siècle : jouer une trentaine de fois par saison le « cinéscénie », immense spectacle son, lumière et émotion, sur vingt-trois hectares avec chaque fois plus de deux mille acteurs. De ce noyau est né le « Grand Parc » et ses spectacles ininterrompus qui font se frotter les yeux. Et du « Grand Parc » sont nées une école de cavalerie réputée, une

volerie parmi les meilleures du monde, une société de production de films (le premier sort le 8 décembre en avant-première) et désormais une « académie », établissement scolaire hors contrat qui accueille ses 42 premiers lycéens, après les maternelles, les primaires et les collégiens en plusieurs étapes. À la clé encore, un chiffre d'affaires de près de 80 millions, des milliers d'emplois, directs et indirects, des sous-traitants que l'on pressure le moins possible, des producteurs locaux valorisés, et on en passe. Cerise sur le gâteau, tout est possédé par l'association d'origine (présidée par Nicolas de Villiers) avec quatre principes jamais violés : pas de droits d'auteur, pas de dividendes, pas de limites artistiques et... pas un centime d'argent public.

Le Puy du Fou n'est que la face connue et populaire du « miracle vendéen » : des champions mondiaux (Benneteau, Fleury Michon, Sodebo, Cougnaud, Schenker France...), un chômage à 5,5 %, un système éducatif où le public et le privé font jeu égal sans se faire la guerre, une mentalité solidaire où la concurrence est toujours saine, etc.

Blessure mémorielle

Pour aller vite, cet état d'esprit et cette culture viennent des malheurs de la
Vendée pendant la Révolution française. Rappelons qu'ici, entre 1793 et 1794, la République a ordonné la « dépopulation », c'est-à-dire le massacre pur et simple des habitants, femmes, enfants et vieillards compris. Ce crime de masse fut appelé
« populicide » par Gracchus Babeuf. Et, de fait, dans cette affaire, la Convention, Barrère et Robespierre en tête, a du sang jusqu'aux genoux. Ils furent entre
160 000 et 200 000 à être envoyés 
ad patres, réunis par exemple aux Lucs dans une église à laquelle on mit le feu. Ce jour-là, il y eut 564 victimes, seulement 100 de moins qu'à Oradour-sur-Glane en 1944.

De ce malheur, dont un historien distingué de la Révolution a tout de même eu le culot d'écrire qu'il est « une fake news qui a réussi », les survivants ont tiré une force qui a traversé les décennies, faite de résilience, de pardon, de nouveau départ et de labeur. Car, soignés par la politique napoléonienne autant que par leur foi en Dieu et en eux-mêmes, les Vendéens ont ensuite servi la France avec ferveur et même dans la douleur pendant les deux guerres mondiales. En 1993, le grand Alexandre Soljenitsyne est venu leur rendre visite, lui qui refusait toutes les invitations. Il a allumé aux Lucs une flamme qui ne s'éteint pas.

Les massacres de Vendée ont été retirés de l'enseignement par la IIIRépublique. Il a fallu quelques téméraires historiens, menés par Pierre Chaunu, pour les sortir de l'ombre. On sait aujourd'hui ce qui s'est passé. On a le bilan et le nom des responsables. On a des listes de victimes. Mais jamais nos gouvernants n'ont fait le moindre geste pour reconnaître ne serait-ce que ce qui n'est pas discutable. Ancien ministre, Alain Decaux raconte dans ses Mémoires les pressions qu'il a subies pour ne pas rejoindre Soljenitsyne et de Villiers à la cérémonie des Lucs, lui, l'homme de gauche.

À un moment où les dirigeants de la France demandent pardon à qui mieux-mieux et à qui l'exige, à une époque où la moindre victime exige repentance quand ça n'est pas réparation des siècles après les faits, ne serait-il pas temps qu'une présence officielle vienne dire aux enfants de la République qu'ici elle a eu la main inutilement et cruellement lourde. Un tel geste ne ferait de mal à personne, et réparerait une blessure mémorielle qui n'empêche pas les Vendéens d'être fiers de leur devise.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire