Banderole

La prochaine publication du numéro double de Savoir 143-144-145-146 paraîtra fin Février 2024

23/11/2019

La nouvelle donne politique expliquée par Patrick Buisson, dans le Point du 21 novembre 2019

La politique française est-elle enfermée dans un duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron ? 


Une élection présidentielle, c’est la construction d’un agenda politique appuyée par une vaste ingénierie de formatage de l’opinion  qui s’apparente à du concassage mental.  Il s’agit de transformer le scénario souhaité par une minorité en scénario souhaitable au regard du plus grand nombre.  Le duel Macon-Le Pen était jusqu’ici le scénario souhaité parce qu’on l’estimait sans risques, dussent les médias souffrir d’un storytelling sans suspens et dépourvu de dramaturgie. Sauf qu’aujourd’hui, et à la surprise quasi générale, l’hypothèse d’une victoire de Marine Le Pen ne peut plus être exclue. La dernière enquête de l’IFOP lui accorde 45% des intentions de vote  alors qu’aucune étude ne l’avait donnée à plus de 41% dans l’entre-deux tours de 2017.  Rappelons que Macron l’a emporté avec un écart de plus de 10 millions de voix et de 32 points. Si l’on en croit l’Ifop, l’écart ne serait plus que de dix points, soit à niveau équivalent de suffrages exprimés, un peu plus de 3 millions de voix.  Pour annuler cet avantage, il faudrait un déplacement d’un million et demi de suffrages. Autrement dit, une mini secousse  à l’échelle de la géomorphologie électorale.  

D’autres indicateurs révèlent-ils selon vous ce resserrement ?

Il est frappant de constater que Macron n’a plus aujourd’hui la faveur du pronostic puisque 59% des personnes interrogées ne le voient pas réélu en 2022. Cette question du pronostic, ce n’est pas seulement de la climatologie électorale, elle a toujours eu une valeur performative comme si les électeurs se faisaient a posteriori une obligation de réaliser eux-mêmes ce qu’ils énoncent. Au-delà du jugement  défavorable sur le bilan (55%) et d’un fort repentir (62% considèrent que son élection a été  une mauvaise chose) , un autre facteur pourrait être décisif. On sait que les 14 millions de retraités représentent 31% du cops électoral et environ 35% des votants le jour de la présidentielle. Ils ont voté à 75% en faveur de Macron en 2017. Or les retraités ne sont plus ce monolithe macronien  qui lui avait assuré une victoire massive. C’est même la catégorie où il enregistre les plus grosses pertes en termes de confiance et de popularité. Voilà un signal des plus alarmants pour le président sortant. En outre, l’élection présidentielle est le seul scrutin où les catégories populaires  et la classe moyenne inférieure forment une majorité de votants. C’est donc aussi le seul scrutin sociologiquement et structurellement propice à une victoire du vote anti-système, ce pourquoi le bloc élitaire rêve de le supprimer au nom de la démocratie bien sûr. Dans un contexte marqué par l’agitation sociale et l’élargissement de la fracture ethno-culturelle avec le débat  sur l’islam et l’immigration que Macron a étonnamment choisi d’entretenir tantôt par ses propos tantôt par ses initiatives, le résultat sera, en tout état de cause, beaucoup plus serré qu’on le prévoyait jusqu’ici.  

Certes, la dynamique n’est pas en sa faveur. Mais Marine Le Pen est encore loin du compte...

Dans une campagne présidentielle, il faut regarder à la fois la tendance et les effets se seuil. La tendance est arithmétique : la dynamique est-elle haussière ou baissière, sachant qu’elle se prolonge et  s’amplifie généralement le jour du vote. L’effet de seuil, lui , est d’ordre psychologique. On a d’autant plus de  mal à l’apprécier en « temps réel » que l’inconscient collectif évolue à  bas bruit , si bien qu’il échappe presque toujours aux radars médiatiques. Les plus sensibles à cet effet de seuil se trouvent parmi les cadres du pays. A 40% la candidature Le Pen n’intéresse personne, à 45% elle suscite des interrogations, à 47%, elle mettrait en mouvement l’immense armée des ambitieux et des habiles, des carriéristes  et des opportunistes . Et c’est là que tout devient possible. 

Selon vous, Marine Le Pen a-t-elle les capacités d’être élue ? 

Les qualités requises pour conquérir le pouvoir ne suffisent pas pour l’exercer disait en substance Chateaubriand. A leur manière,  et chacun dans un registre différent, Giscard, Chirac, Sarkozy et Hollande en ont fait la démonstration. Force est de constater que les obstacles objectifs à l’élection de Marine Le Pen  sont  désormais largement exogènes. Il  y a d’une part les menaces que ferait peser cette élection sur la paix civile, la crainte de mouvements de rue plus d’ailleurs du côté de l’extrême-gauche que de la communauté musulmane et d’autre part l’interrogation persistante sur les ressources politiques et humaines  nécessaires à l’exercice du pouvoir ; interrogation d’autant plus légitime que le Rassemblement national n’a aucune culture de gouvernement 

L’émergence d’une autre personnalité est-elle envisageable ? 

Quand on compare  le potentiel idéologique du RN qui rassemble deux Français sur trois  sur les questions de  la  sécurité, de l’immigration ,de l’attitude à l’égard de l’islam ou encore  sur ce qu’on appelle plus généralement les « valeurs » et  son point de culmination électoral qui n’ a jamais dépassé jusqu’ici un tiers des votants, on se dit que le patronyme de Le Pen n’est sans doute pas étranger à cette distorsion. Un candidat ou une candidate non issu du RN mais soutenu par celui-ci ne se heurterait pas au même plafond de verre. Il aurait, à n’en pas douter, toutes les chances  de battre Macron en 2022.     

 Marine Le Pen soutiendrait une autre candidature que la sienne ? C’est mal la connaître…

A plusieurs reprises, elle a indiqué qu’elle se retirerait au profit d’un candidat qui apparaîtrait mieux placé qu’elle. Je vous concède qu’il s’agit là d’une figure de rhétorique et qu’elle y a  d’autant plus volontiers recours que ce candidat, pour l’heure, n’existe pas , et que la probabilité qu’il émerge d’ici à 2022 est faible. Mais si une telle situation devait malgré tout survenir, pourquoi devrait-on  systématiquement mésestimer Marine Le Pen ? Pourquoi  ne pourrait-on pas la créditer du même sens politique que celui qui a conduit le parti communiste à faire de François Mitterrand le candidat unique de la gauche en 1965 alors que le rapport de forces électorales était de 10 à 1 en faveur du PCF ? Ne serait-il pas de l’intérêt supérieur de tous ceux qui veulent  la défaite de Macron de réfléchir d’abord à la question de la stratégie avant de s’interroger sur le nom du candidat.

Quel devrait être selon vous le profil idéal de ce Monsieur ou Madame X ?   

De Gaulle et Mitterrand, les deux figures les mieux abouties de la Ve République avaient ceci en commun de plonger leurs racines dans l’arkhé, dans le tuf archaïque de la nation française. Chacun, dans un style différent, a  su faire la synthèse de la réaction et de la révolution , ces deux grandes passions de l’histoire de France . De Gaulle, c’était La colline inspirée + la modernisation du pays ; Mitterrand, le programme commun + le Bonheur  est à Barbezieux. Les mots de révolution et de réaction signifient d’ailleurs la même chose : le retour à un point fixe, le retour sur soi. Il n’y a qu’en histoire où le mot révolution est synonyme de rupture. Etymologiquement, il doit s’entendre comme réitération de ce qui a été et prévision de ce qui sera. Etre à la fois réactionnaire et révolutionnaire, ce n’est pas vouloir marier les contraires, c’est incarner l’union nationale dans ce qu’elle a de plus durable et de plus profond.   

Marion Maréchal est aujourd’hui hors jeu. Comment avez-vous perçu la convention de la droite ?

Comme un contre-sens doublé d’un contre-temps. La politique n’est pas un jamboree, encore moins une affaire de boy-scouts. Marion Maréchal ne peut s’en prendre qu’à ceux qui l’ont poussé vers cette impasse. Il y a une droite, parfaitement décrite autrefois par Guy Mollet, qui présente la particularité d’être à la fois idéologiquement fossile  et  politiquement invertébrée. Nous voilà rassurés quant à sa postérité. Mme Maréchal est en train d’apprendre à ses dépens qu’on ne conserve dans la durée une surface médiatique que si celle-ci est  gagée par une encaisse électorale. Bref, pour faire de  la politique, il faut se présenter aux élections. Et ne pas confondre engagement civique et tournée de promotion. 

Pourtant, vous avez été l’un des plus fervents défenseurs de l’Union des droites. Désormais, vous prônez une stratégie populiste. Son entourage a dit que vous faisiez du Philippot avec dix ans de retard...

C’est bien aimable à eux qui font du Buisson avec un retard qui n’est pas de dix mais de trente ans. Si c’est un hommage qu’ils veulent me rendre, je n’y suis pas sensible. J’ai longtemps plaidé pour une union des droites à l’époque où les droites étaient miscibles et électoralement majoritaires. Tout cela a changé et il faut beaucoup de paresse intellectuelle pour ne pas s’en être aperçu. La convergence  entre conservatisme, libéralisme et populisme est devenue aussi impensable qu’impossible. De surcroît, « le danger d’une erreur selon Pascal, c’est la part de vérité qu’elle contient ». L’union des droites est une condition nécessaire mais nullement suffisante pour servir d’axe stratégique à une reconquête du pouvoir. En y faisant arbitrairement entrer la totalité de l’électorat RN, les droites n’ont recueilli, lors des dernières élections européennes, que 36% des suffrages, soit moins d’un Français sur cinq si on se rapporte à l’ensemble du corps électoral.  Au premier tour de la présidentielle de 1995, les droites, de Balladur à Le Pen,  rassemblaient près de 60% des votants. Par ailleurs la mouvance autour de Marion Maréchal aurait été bien avisée de méditer cette loi intangible de la gravitation politique qui veut que toute tentative émanant du lepénisme-et il y en a déjà eu un certain nombre- pour établir  des passerelles avec la droite de gouvernement s’achève toujours à la droite de l’extrême-droite. Comme s’il y avait une pente fatale du frontisme au maréchalisme. 

La droite devrait-elle se tourner vers… la gauche ?

Il sera difficile de  me  faire passer pourun homme de gauche. Je crois au caractère indépassable de la division droite-gauche comme catégorie mentale. Je ne pense pas en revanche que cette polarité structure tous les votes , en tous lieux et en toutes circonstances. Quand le droit à la continuité historique de la nation française est en cause , une candidature d’union nationale peut rassembler  bien  au-delà des clivages traditionnels. N’est ce pas précisément ce qu’a fait de Gaulle  en 1940 et en 1958 ? Environ la moitié de l’électorat de Mélenchon ne pense pas comme lui sur la question de l’immigration  et de l’islam, ces électeurs–là seront un jour ou l’autre tentés par un autre choix. Et tout le monde sent bien que ce jour-là approche. A commencer par Mélenchon lui-même. D’où son agitation fébrile

    Pour Emmanuelle Mignon, que vous avez bien connu lorsque vous étiez conseiller de Nicolas Sarkozy, désormais, la droite, c’est Macron !

Elle a entièrement raison. Après avoir digéré la gauche post-sociale en 2017, Macron s’est mis habilement en situation d’absorber la droite post-nationale. On ne voit pas qui sur le marché politique pourrait porter une offre libérale plus cohérente et plus attractive que la sienne. Sur ce point, il faut lire le livre de Jérôme Sainte-Marie, Bloc contre bloc, pour être édifié. En invitant la droite à renoncer aux combats sociétaux d’arrière-garde, à vivre en  quelque sorte avec son temps, Emmanuelle Mignon surmonte l’incohérence idéologique qu’il y avait à vouloir faire cohabiter libéralisme et conservatisme. Pour elle comme pour tous les libéraux conséquents, le libéralisme est un fait total, ce qui veut dire totalement insécable. 




L’avenir des Républicains est il compromis ?

On pouvait penser que 2017 était une anomalie. Aujourd’hui les faits montrent que l’épuisement de l’alternance classique droite/ gauche n’a rien d’accidentel et que le discrédit qui s’attache aux vieux partis est durable. NI la droite ni la gauche dites de gouvernement n’ont plus désormais les ressources idéologiques et sociologiques pour proposer avec quelque chance de succès une offre politique crédible. 

 Pourtant, à l’étranger, la droite existe encore. Aux États-Unis ou au Royaume Uni par exemple…

Les droites qui ont gardé ou reconquis le pouvoir dans ces pays n’ont pu le faire qu’au prix d’une véritable révolution culturelle. Elles ont cessé de se comporter en syndic des classes favorisées pour se faire les défenseurs des catégories populaires. Trump a été élu par la « Rust belt » et les ouvriers des régions industrielles sinistrées. Boris Johnson , en se faisant le héraut du Brexit, a refondé les bases sociologiques des Tories. Ce n’est pas leur faire injure que de dire  que Baroin pas plus que Bertrand, Larcher, Jacob ou Pécresse n’ont des têtes de révolution culturelle

Nicolas Sarkozy a tenté de le faire… 

Il aurait pu être l’homme de cette révolution. Ce fut, au contraire, le formidable gâchis que l’on sait. Le drame de Sarkozy est de croire que les idées sont un costume de location qu’il suffit d’enfiler le jour du vote et dont on peut se défaire sans dommages dès le lendemain. 

Que pensez-vous de l’entretien de Macron avec Valeurs actuelles, un journal que vous avez dirigé ?

C’est un coup perdant-perdant des deux côtés. A l’Elysée, quand les choses vont mal,  il y a toujours  un conseiller pour proposer au président d’aller jouer les coucous dans le nid des adversaires ou supposés tels. C’est généralement le plus bête et le moins créatif.  Résultat : on irrite son  propre électorat sans convaincre celui qu’on cherche à séduire. Je crois que ce faux entretien non assumé puisque présenté sous forme de confidences aura fabriqué plus d’absentions et de bulletins nuls chez les électeurs de gauche dans le cas d’un duel Macron-Le Pen qu’il n’aura suscité d’adhésions à droite. S’agissant de Valeurs Actuelles, je ne doute pas qu’un certain nombre de ses  lecteurs puissent être en 2022 des électeurs de Macron, mais ce dont je suis sûr également, c’est qu’au-delà  d’un éphémère  succès commercial de curiosité, la masse du lectorat n’achète pas ce journal pour y retrouver ce que les médias mainstream  offrent gratuitement à longueur de journée    

Et sur le fond, vous n’êtes pas d’accord avec son discours ?

En matière d’immigration Macron s’inscrit dans la continuité de tous les présidents de droite  de la Ve depuis Giscard. Ce qu’il fait ne relève pas de la politique de l’oxymore mais de la schizophrénie. Un mélange de propos incantatoires et d’actes contradictoires. On ne peut à la fois élargir le regroupement familial à la fratrie, féliciter Merkel pour son accueil des migrants et venir s’insurger aujourd’hui sur le mode « Ca ne peut plus durer ». Tout en reprenant les postulats des immigrationnistes  et les poncifs de l’idéologie diversitaire. A savoir par exemple que la France est une terre d’immigration alors que toute l’histoire de la démographie montre que la population française est restée identique durant quinze siècles jusqu’au milieu du XIX° et qu’elle n’a cessé d’être ethniquement homogène qu’à partir des années 70  du siècle dernier. En outre, vouloir réguler l’immigration économique, quarante cinq ans après que Giscard ait annoncé qu’il allait la tarir ne donne pas vraiment confiance dans la capacité des politiques à contrôler le destin de la France et des Français. Enfin, il est absurde de poser le problème en ces termes lorsque le taux de chômage de la population immigrée atteint 24%. On a parlé depuis la rentrée d’un passage à l’acte deux du quinquennat Macron. Moi, j’y vois plutôt la troisième mi-temps du mandat Sarkozy.    
  
Pour vous, il existe un mimétisme ?

C’est frappant. Dans les mots d’abord. Sarkozy se réclamait d’une politique « juste » et « ferme » à propos de l’immigration. Macron se veut « humain » et «  impitoyable ». Dans la méthode ensuite. Pour traiter cette question sensible, Sarkozy n’avait rien trouvé de mieux que d’organiser un « grand débat national ». Je lui avais dit  à l’époque ; «  Tu es le président en exercice. Tu as été élu pour agir, pas pour organiser des débats ». Macron s‘est largement inspiré de la formule mais comme technique de défausse et en excluant l’immigration du champ du débat. Les deux hommes se révèlent être des adeptes de la même construction performative selon laquelle parler c’est agir, dire c’est faire ou du moins faire croire…

 Que vous inspire cet énième long débat sur le voile ?

Macron a le mérite de la clarté. On a pu le croire ouvert à une dimension transcendante. On s’est trompé. Il parle en esprit rationnel et sécularisé, étranger au fait religieux  et donc à la nature même de l’islam. Il nous raconte la vieille fable comme quoi le voile signifierait l’échec de notre modèle économique d’intégration depuis la fin des Trente glorieuses. Autrement dit « La République ne m’a pas donné de travail », « La République ne m’aime pas ».  Je pense, au contraire,  qu’il s’agit là d’une erreur d’analyse majeure, propre d’ailleurs à la quasi totalité de la classe politique. Le voile, c’est d’abord et avant tout l’échec de notre modèle politique et civilisationnel. Dans la France des années soixante, l’intégration ne posait pas de problèmes insurmontables. D’abord parce que l’identité nationale française était encore très attractive à travers un patriotisme  érigé en religion séculière, ensuite  parce qu’il n’ y avait qu’un million de musulmans sur le sol national et pas six ou sept comme aujourd’hui ce qui pose le fameux problème du «  seuil de tolérance » ; enfin parce   qu’il y avait une proximité morale et symbolique entre les valeurs  traditionnelles  d’une France  encore chrétienne  et celles de l’islam. Aujourd’hui, les musulmans sont habités par deux complexes explosifs et contradictoires : un complexe d’infériorité en termes de puissance et un complexe de supériorité civilisationnelle à l’égard de notre athéocratie, de notre société qu’ils jugent décadente et apostate. Ils se sentent agressés dans leur être de croyant et dans leur identité profonde par nos lois et par nos mœurs. Et cela est pour beaucoup dans le processus de radicalisation en cours.  

La laïcité peut-elle être un outil d’intégration ?

Ortega y Grasset disait qu’il y a des mots qui ne sont que les fantômes rhétoriques de choses mortes. Laïcité, république, vivre ensemble : nos politiques parlent une langue morte qui n’a plus aucune résonance dans l‘opinion et singulièrement parmi la population musulmane. D’où un quiproquo  fondamental.  La notion de laïcité est intransposable dans l’islam. Pour la bonne raison qu’être pleinement musulman c’est accepter la subordination du temporel au spirituel. Même chose en ce qui concerne la République : une république sans chose commune  qui ne propose de partager  ni croyance ni projet collectif  se réduit à une république des individus dont l’infériorité et la fragilité de l’appareil symbolique s’avère incapable de prendre en charge le besoin d’absolu qui existe à des  degrés divers dans chaque personne . « On n’habite pas une séparation » dit justement Pierre Manent.   

Une fois de plus, à juxtaposer , vous globalisez . La majorité des  musulmans sont bien intégrés 

Vous vous trompez. La majorité des musulmans est attentiste comme elle l’était au temps de la guerre d’Algérie. Elle basculera en fonction de l’évolution du rapport de force entre l’état français et l’islamisme. IL faut en finir avec cette balançoire : les musulmans croyants n’ont aucune envie de s’intégrer dans une société qu’ils méprisent. La seule intégration possible, c’est celle qui fonctionne en sens inverse. A savoir les «  accommodements  raisonnables »  qui consistent à modifier nos habitudes pour faciliter l’inclusion de cultures nouvelles sur le territoire national, à juxtaposer les identités préservées avec la non-identité française 

Avez vous approuvé le discours d’Eric Zemmour à la Convention de la droite ? 

L’amitié que j’ai pour Eric remonte à plus de vingt ans mais elle n’empêche pas les désaccords. 

Lui avez vous dit qu’il allait trop loin ? 

Je lui ai surtout dit  qu’il faisait une erreur en se laissant  entraîner dans pareille mésaventure. Son discours  m’a paru  hors sujet tant son propos sur l’islam éclipsait tout le reste. Or, la question politique centrale, ce n’est pas celle de l’islam mais celle de l’immigration qui est source d’insécurité et d’anomie. Pour maîtriser l’islam, il faut inverser les flux migratoires. L’état français pourra être d’autant plus libéral et tolérant envers l’islam que les musulmans seront moins nombreux. Soit le contraire de ce qu’ont fait les politiques en facilitant les vagues migratoires et qui veulent aujourd’hui interdire aux immigrés qu’ils ont fait venir  d’être ce qu’ils sont, réglementer leurs pratiques et réformer leurs mœurs. L’idée d’une guerre civile me fait horreur et n’habitant pas le ciel irénique d’un islam «  religion de paix et d’amour », je sais que, de ce point de vue, la question du seuil de tolérance est fondamentale. Mais, il ne faut pas se tromper dans la hiérarchie des responsabilités et l’enchaînement causal. Essentialiser l’islam comme le mal absolu c’est relativiser voire occulter la responsabilité des politiques  qui, depuis quarante ans, ont rivalisé de lâcheté , d’impuissance ou de complicité sur la question de l’immigration.  Essentialiser l’islam comme le responsable de tous nos maux, c’est faire oublier qu’il se nourrit de notre matérialisme et de nos faiblesses, qu’il y a une relation directe entre le nihilisme des sociétés occidentales et le succès de l’islam comme producteur de normes et d’interdits .Chaque période de dérégulation dans notre histoire a toujours été suivie d’une demande d’ordre et de reprise en main. Veillons à ce que l’islam ne soit pas le mieux placé pour y répondre.       


Comment jugez-vous l’évolution de Jean-Luc Mélenchon sur ces questions ? Et sa participation à la manifestation contre l’ »islamophobie ». 


Mélenchon a fait le choix du « grand remplacement » . Il a choisi de faire l’impasse sur environ la moitié de sa base électorale qui , à en croire les études, ne partage pas son point de vue sur l’islam, au profit du vote musuman. Ayant perdu la bataille des populismes avec Marine Le Pen, il se repositionne en leader de la gauche multiculturaliste. C’est faire vœu de minorité. Cela n’a plus rien à voir avec le socialiste patriote que j’ai connu et que j’ai beaucoup aidé au temps où j’étais conseiller de Sarkozy à l’Elysée. La troisième candidature à la présidence de la République est parfois la bonne (Mitterrand , Chirac), elle peut être aussi cataclysmique. Demandez à Bayrou ! Ce qui est aberrant c’est de voir ceux qui se veulent les héritiers d’une famille d’esprit qui n’a cessé de dénoncer la religion comme une illusion sans avenir, comme l’ « opium du peuple » accorder à l’islam en tant que religion des dominés, une absolution plénière pour les aspects les plus sombres de son histoire et de ses textes sacrés C’est de voir les «  fils des Lumières « » se faire les défenseurs de l’ « obscurantisme » qu’ils ont  tant pourfendu  à travers le catholicisme depuis près de trois siècles.    

Version intégrale publié sur le site du magazine LePoint,  21 novembre 2019. Reproduit avec l'aimable autorisation de Patrick Buisson

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