23/10/2015

Denis Tillinac parle de Louis XX. C'était il y a peu dans Valeurs Actuelles. Merci à Henry Renoul qui a bien voulu nous communiquer cet article.

Le duc d'Anjou.
On peut être moderne et avoir le sens de l'histoire et de la continuité.
Photo © AFP
Vu de ma fenêtre. Rencontrer Louis de Bourbon, c’est comprendre en creux ce qui manque le plus à nos démocraties : un enracinement spirituel et historique.

La France d’aujourd’hui ne ressemble plus beaucoup à celle qu’il est loisible de fabuler sur la foi de nos livres d’histoire, textes et images. Paysages et monuments sont toujours là, mais que reste-t-il des valeurs, des moeurs, de l’esthétique qui habillaient l’âme de nos ancêtres ? Presque rien. D’où le réconfort que m’a procuré, ce dimanche 20 septembre, en la cathédrale Saint-Louis, la messe de la fondation de l’hôtel des Invalides. Les lieux sont habités par les mânes de Louis XIV, de Napoléon et des soldats qui ont laissé leur peau, ou sacrifié leur intégrité physique, au service de la France.

              C’est tout le génie du Grand Siècle d’avoir enfanté un des joyaux de notre architecture en bâtissant un hôpital militaire : rigueur, simplicité, harmonie. Aux Invalides, on renoue avec une France glorieuse et douloureuse, ce qui hisse notre patriotisme à une certaine altitude. Présidée par Mgr Ravel, évêque aux armées, la célébration fut majestueuse sans être compassée. Grégorien et trompes de rigueur, voix de la soliste d’une pureté surnaturelle. Présence des autorités civiles et militaires “républicaines”, mais aussi de Louis de Bourbon et du comte de Paris. Ils se sont salués courtoisement.

      Toute considération bue sur le principe monarchiste, et sur le débat entre légitimistes et orléanistes, ces deux princes incarnent une haute mémoire qui indéniablement ajoutait à l’émotion ; c’était la France en version intégrale, un fil au moins symbolique entre les temps jadis et le temps présent. À la fin de la messe, un hommage fut rendu à Saint Louis, à l’occasion du tricentenaire de la mort du Roi-Soleil : une oeuvre originale pour orgue, duo de cors, duo de trompes et ténor, d’Olivier d’Ormesson, sur un texte de Jean d’Ormesson. Je me méfie de la musique contemporaine mais celle-là aura ponctué magnifiquement la cérémonie ; pour le coup, passé et présent se tenaient par la main, on avait envie de croire que la France pouvait redevenir cette princesse exaltée par de Gaulle au début de ses Mémoires de guerre. Pour comble de bonheur, les deux choristes étaient ravissantes.

      La veille, le duc d’Anjou avait assisté à Souvigny à la commémoration des débuts de la maison de Bourbon. Mille et cent années, ça fait un bail. Ayant eu la chance de rencontrer ce prince quadragénaire, descendant en ligne directe du Roi-Soleil, j’ai mesuré à quel point il a conscience de ce que sa personne incarne. C’est un homme “moderne”, engagé dans la vie économique, sportif émérite et d’une décontraction bien latine, mais respectueux à l’extrême d’un héritage somme toute sacré. Bien entendu, il se tient à distance de la politique, en Espagne comme en France, tout en se sentant concerné. Pour tout dire, je l’ai trouvé plus ouvert, plus tolérant et plus perspicace que les politiciens des deux pays dont il possède la citoyenneté. Certes, la perspective d’une restauration à court ou moyen terme semble illusoire, et je suis trop vieux et trop peu courtisan pour solliciter un duché. D’ailleurs, qu’en ferais-je ? C’est déjà si difficile de se gouverner soi-même.

     Mais enfin, à l’heure où nos institutions battent de l’aile et où d’aucuns préconisent l’instauration d’une VIe République, la question de la légitimité d’une démocratie d’opinion, voire d’émotion, commence à se poser. Nonobstant leur tripe républicaine, nos compatriotes admirent presque unanimement le long parcours sans faute d’Élisabeth II à Buckingham. Une vague nostalgie les habite ; j’avoue qu’elle s’est réveillée en moi sous les étendards de Saint-Louis des Invalides, quand le grand orgue accompagnait le Salve Regina final. La reine en question, c’est la Vierge : ne confondons surtout pas le spirituel et le temporel. Sachons toutefois qu’un pouvoir démocratique sans assises spirituelles est sujet à la tentation de la tyrannie. C’était le point de vue du légitimiste (sans illusion) Chateaubriand et du républicain (sans excès) Tocqueville, deux penseurs politiques parmi nos plus féconds.

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